Souvenirs d’une petite fille d’Algérie…

Lorsque mes parents avaient encore leur Studio Photo au 36 rue de Constantine à Hussein-Dey, ils avaient très peu de temps libre, bien qu'aidés par des employés.
J'avais organisé ma petite vie et je passais mon temps à rêver, c'est pour cela que maman disait souvent « Sabine est toujours dans la lune ».
Mes rêves et mes espoirs en ce temps-là étaient de rentrer à la maison et d'y trouver maman, comme toutes les autres petites filles, et qu'elle me donne elle-même mon goûter.  Mais tel n'était pas le cas car elle était toujours au studio et c'était Honorine la cuisinière que nous avions à ce moment là qui le faisait.

J'aimais aller passer quelques jours chez la sœur de maman, sur les hauteurs de Belcourt, allée des Mûriers prolongée. De là-haut, nous avions  une vue splendide sur toute la baie d'Alger.
Je devais avoir dans les huit ou neuf ans, vers les années 44/45. Pour accéder à mon petit coin d'Eden, je prenais le tram toute seule, restant à l'arrière  afin de profiter du trajet et du paysage. 
Passé le Hamma  puis le jardin d'Essai, j arrivais, je crois rue Sadi-Carnot, cette rue commerçante et grouillante, encombrée de porteurs de cageots. Et je sautais du tram . .
 
Arrivée rue de Lyon, avant d'entamer l'ascension vers l'allée des Mûriers, j'allais faire la bise à mon "oncle".
C'était Marcel Parigi, ami de longue date (nos familles se connaissent aujourd'hui depuis quatre générations, avec les familles Lagaillarde, Ours* ...).
Il était directeur du cinéma Roxy.  Régulièrement, il m'invitait à entrer voir un peu les films qui passaient.
Puis après quelques dizaines de minutes, je repartais, passais le long de Monoprix pour entamer l'ascension à travers les rues étroites et sinueuses et là Oh ! Miracle ! tout le long du chemin, partout des bougainvillées mauves et lilas, des lantanas jaunes et oranges aux pétioles minuscules et surtout les parfums enivrants des cascades de jasmin embaumées, si volubiles que leurs feuillages d'un vert soutenu  et leurs petites fleurs blanches délicates, odoriférantes et immaculées, entrelacées, se rejoignaient presque d'une terrasse à l'autre et croulaient littéralement jusque vers la rue à hauteur des petites mains de petites filles rêveuses et sentimentales qui les cueillaient et en faisaient des colliers ou de minuscules bouquets qui seraient offerts à ceux qu'elle aimait. Tout cela sous le chant  assourdissant des cigales. Les petites sauterelles jaunes et vertes allant de-ci de-là, les criquets sous le soleil de plomb écrasant et la chaleur dont on entendait « le chant »...
Oui je dis que la chaleur émet un chant.
Tout ce bonheur fut balayé un jour par l'histoire et la folie des hommes.
 
La vie est passée.  Mes rêves...jusqu' en 1956, un 16 décembre et je n'ai plus jamais remis les pieds allée des Mûriers Prolongée, la sœur de maman et sa famille ont déménagé.  J'allais à Alger au cimetière de Saint Eugène... me recueillir sur la tombe de René (le mari de ma  cousine qui était si gentil qu' on le surnommait « petit beurre »), et qui fut injustement frappé par les évènements. Il repose en paix avec mes grands-parents maternels.  Il faut savoir tourner les pages, même tristes, pour aller de l'avant dans les chemins de la vie, car tous, à quelque degré que ce soit nous avons été  éprouvés.
 
Tout cela est dans ma mémoire, gravé à jamais car c'est tout ce que je ressentais au plus profond de mon être, mon petit cœur de 8 ans, sans soucis du lendemain, le cœur plein d'allégresse et des rêves plein la tête, sans savoir qu'un jour, plus très lointain, j'écrirais le mot  F I N  sur ces années de bonheur insouciant, laissant tout derrière moi et tentant d'oublier jusqu' à  ton nom... A L G E R I E...
 
        Sabine Bachelet 
 
*La famille Ours, chez qui nous avions passé  plusieurs mois avant mes sept ans. C'était dans le Sersou aux confins du Sahara, une très grande propriété avec toutes sortes d'animaux.
De temps en temps, des Touaregs  venaient à la ferme sur leurs chameaux échanger des cadeaux contre du sel.
Comme ils étaient majestueux dans leur lente avancée !  Comme ils me semblaient mystérieux... et comme tout cela est loin aujourd'hui !  hélas... et le Sersou ... et mes huit ans !

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×